Techniques de la peur au cinéma
Beaucoup de films d’horreur, ou de films à suspens, reposent sur la peur de l’inconnu, c’est-à-dire ce que nous ne voyons pas. Le réalisateur tente donc de créer un climat d’insécurité et d’angoisse, qui active notre imagination et fait parfois osciller un film entre réalité et fantastique.
Ce jeu sur l’implicite et l’oppression se fait au travers de tous les moyens que le cinéma permet de mettre en œuvre. Ainsi, le décor influe sur l’ambiance-même du film. L’obscurité, le travail sur l’ombre et la lumière, nous font perdre nos repères et agissent sur notre imaginaire – un environnement sombre est associé à la peur, la mort. Lorsque l’intrigue se déroule dans un environnement clos (voir article sur le sadisme au cinéma), on ressent comme une impression d’enfermement, voire de claustrophobie.
On a souvent coutume de dire que la bande-son est le plus important au cinéma. Cela n’est pas totalement exagéré. En effet, le son influe sur l’ouïe, un second sens mobilisé en plus de la vue, ce qui plonge encore plus le spectateur dans le film. Dans le cinéma de la peur, la musique joue beaucoup sur l’intensité du son, tel grâce aux crescendo et decrescendo, et sa récurrence (utilisation d’une bande-son douce et répétitive, comme celle d’une boîte à musique). Celle-ci est alternée avec des périodes de silence, où notre attention est attirée par de légers bruits hors-champ, comme des crissements ou des bruits d’objets qui tombent.
Le jeu d’acteur est lui aussi lourd de sens dans les films d’horreur. Les regards hors-champ et les expressions du visage activent l’angoisse, avant même que nous n’ayons vu l’objet de la peur. La démarche des comédiens est, à sa manière, significative. Ainsi, une attitude de fuite, ou, au contraire, assurée, nous renseigne sur l’état d’esprit du personnage. Le choix des personnages influe aussi sur l’angoisse. On retrouve par exemple les médiums comme caractères récurrents, qui nous mettent en garde contre ce qu’il va arriver, de manière plus ou moins sibylline, peut-être une manière de faire monter l’angoisse ou de montrer la fatalité des événements. Certains films ont recours à des enfants, soit en position de victime – jouant alors sur le registre pathétique, soit en position d’agresseur – cette utilisation, tout comme celle de la maison hantée, touche au foyer, accentuant donc l’horreur.
Il existe aussi des moyens plus « techniques » pour influer sur la peur. Le jeu de caméra et le montage en sont de parfaits exemples. Le rythme des séquences, comme une répétition rapide de plans courts, ainsi que leurs transitions, tel le fondu au noir, permettent souvent de faire monter l’angoisse. On peut aussi prendre l’exemple des longs plans silencieux ou accompagnés d’une musique basse, qui provoquent un effet d’attente, permettant de faire monter l’angoisse. La manière de filmer les acteurs est aussi lourde de sens. Réduire les personnages par des plongées ou de larges plans permet ainsi de montrer leur vulnérabilité, tandis que les filmer de dos donne l’impression qu’ils sont suivis. Faire apparaître des personnages en arrière-plan, d’abord flous, ou dans le reflet d’un miroir, peut provoquer un effet de surprise et donc, si elle est préparée en amont, la peur. Cette “préparation”, se fait grâce à l’évolution de la musique, les temps d’attente où rien ne se passe, ou encore des leurres, c’est-à-dire des bruits ou des événements qui semblent au premier abord menaçants, mais s’avèrent ne pas l’être.
D’autres détails reviennent très souvent dans l’expression de la peur au cinéma. Ainsi, des animaux sont parfois utilisés, en tant qu’agresseur – pensez aux Oiseaux d'Hitchcock, symbole de la nature reprenant le dessus sur l’homme – ou bien pour montrer la présence d’une menace, par leur mort ou leur air effrayé. Les objets prennent souvent eux-aussi une portée symbolique, lorsqu’ils sont des motifs récurrents. On peut ainsi penser aux horloges ou à tout autre objet indicateur de temps, lorsque les événements terrifiants se produisent toujours au même moment, qui insiste sur leur fatalité, ou sur les portraits, dégradés lorsqu’il s’agit d’une menace, ou qui fascinent (portrait fantastique). D’autres symboles, qui peuvent aussi bien être des objets, que des sons ou des jeux de lumière, sont parfois utilisés pour signaler l’arrivée de la présence menaçante (lorsqu’elle est récurrente, comme le coup de téléphone et la fameuse question “Quel est ton film d’horreur préféré?” dans Scream de Wes Craven).
L’ouverture, qui permet de se plonger dans l’histoire, et la conclusion, dernière image que l’on gardera du film, sont très importantes. Ainsi, il est souvent d’usage qu’un film d’horreur ait un début heureux, car on se familiarise avec les personnages, dans leur vie plutôt semblable à la nôtre. Ensuite, que ce soit à l’entrée ou à la fin, de nombreux réalisateurs ajoutent souvent des messages qui permettent de rendre plus réel la fiction. Il est facile de penser aux nombreux films “inspirés d’une histoire vraie”, ou, comme dans Paranormal Activity, aux toutes dernières phrases indiquant que les personnages possédés ou fous se sont évaporés dans la nature et n’ont jamais été retrouvés.
Enfin, comme en littérature, certains cinéastes préfèrent jouer sur l’implicite. Par exemple, on entend parfois un cri en hors-champ, puis on voit une flaque de sang ou un objet tombé, sans apercevoir le corps. Les menaces sont parfois simplement représentées par des ombres démesurément grandes sur les murs.
Cependant, malgré ces différences, les films d’horreur s’articulent souvent autour des mêmes grands thèmes, comme l’inhumain (monstres) ou l’insupportable (sadisme, « gore »). Souvent, sont portées à l’écran une régression (presqu’au rang d’animaux) ou une réification (ils deviennent des jouets ou des pions pour l’agresseur) des êtres humains.
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