Historique de la peur au cinéma
Chaque époque a eu ses propres peurs et a cherché à les exorciser. Avec le cinématographe, les artistes ont trouvé un support parfaitement adapté pour exprimer l’effroi. Néanmoins, du fait des contextes historiques, géopolitiques, ou des tendances du temps, la terreur a pu prendre mille et une formes.
Dès les années 1920, alors que le cinéma est encore muet, on voit l’apparition de ce que l’on appellera films d’horreur. La tendance est aux monstres et aux humains difformes, inspirés des œuvres littéraires; celle-ci se poursuivra dans les années 1930 et 1940. On retrouve par exemple des œuvres comme Nosferatu le Vampire (Nosferatu, eine Symphonie des Grauens) de Friedrich Wilhelm Murnau en 1922, ou Dracula de Tod Browning (1931), tous deux tirés du roman Dracula de Bram Stoker. A retenir encore, le Frankenstein de James Whale (1931) d’après l’oeuvre de Mary Shelley, ou Docteur Jekyll et M. Hyde (Dr. Jekyll and Mr. Hyde) de Rouben Mamoulia la même année (de la nouvelle de Robert Louis Stevenson, L’Etrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde)
En 1950, le développement des effets spéciaux (premier film d’horreur en 3D en 1952, Bwana Devil d’Arch Oboler) et l’environnement, la guerre froide, la peur du nucléaire, changent le visage du cinéma de la peur. L’horreur s’invite dans les films de science-fiction, diversifiant le genre. On peut citer ici quelques oeuvres comme La Chose d’un autre monde (The Thing from Another World) de Christian Nyby en 1951, L’Invasion des profanateurs de sépultures (Invasion of The Body Snatchers) de Don Siegel en 1956, qui traitent de la peur d’une menace indéfinie mais proche, crainte majeure durant la guerre froide. Le dérapage des sciences, principalement nucléaires est aussi développé dans des films tel Godzilla d’Ishirō Honda en 1954 (mutations dûe à des radiations) ou La Mouche Noire (The Fly) de Kurt Neumann en 1958 (scientifique défiguré après une expérience ratée).
Les années 1960-70 voit l’apparition d’un genre plus « gore », plus sanglant, et le développement d’un certain réalisme, comme avec les personnages de psychopathes. Des films comme Psychose d’Alfred Hitchcock de 1960 et Le Voyeur (Peeping Tom ) de Michael Powell en 1960, mettent par exemple l’accent sur la part psychologique des personnages. D’autres comme La Nuit des morts-vivants (Night of the Living Dead ) de Georges A. Romero (1968) ou Massacre à la tronçonneuse (The Texas Chainsaw Massacre) de Tobe Hooper (1974) n’hésitent pas à porter à l’écran des massacres avec le plus de réalisme possible. La Dernière Maison sur la gauche (The Last House on the Left) de Wes Craven (1972) abordent même l’humiliation, la torture et les violences sexuelles.
La décennie suivante voit le développement des slasher (films mettant en scène un tueur psychopathe élimine un par un les protagonistes) comme Vendredi 13 de Sean S. Cunningha (1980). Si certains réalisateurs accentuent encore l’horreur dans leurs films, tel William Lustig avec Maniac en 1980, d’autres y ajoutent un humoir noir et acide. C’est le cas par exemple dans Le Retour des morts-vivants (The Return of the Living Dead) de Dan O’Bannon (1985) et de Jeu d’enfant (Child’s Play) de Tom Holland (1989)
Les années 1990 voient deux tendances principales se dessiner. L’une est l’utilisation du « gore » afin de faire rire. En effet, les spectateurs commencent à connaître les codes du genre et les réalisateurs les font passer « en coulisses ». On retiendra par exemple Braindead de Peter Jackson (1992), ainsi que Scream, et ses innombrables suites, de Wes Craven, sorti en 1996. Une deuxième sorte de films fait aussi son apparition, les faux-documentaires. Des oeuvres comme Projet Blair Witch de Daniel Myrick et Eduardo Sanchez (1999) se veulent inspirés de faits réels et touchent un public large, en mettant en scène « Monsieur-tout-le-monde »
Aujourd’hui, le film d’horreur est un genre à la mode, en témoigne les nombreuses œuvres sortant au cinéma. On retrouve les différents types, du « slasher » aux parodies, en passant par le faux documentaire, comme Paranormal Activity 5 Ghost Dimension de Gregory Plotkin (2015).
Techniques de la peur au cinéma
Beaucoup de films d’horreur, ou de films à suspens, reposent sur la peur de l’inconnu, c’est-à-dire ce que nous ne voyons pas. Le réalisateur tente donc de créer un climat d’insécurité et d’angoisse, qui active notre imagination et fait parfois osciller un film entre réalité et fantastique.
Ce jeu sur l’implicite et l’oppression se fait au travers de tous les moyens que le cinéma permet de mettre en œuvre. Ainsi, le décor influe sur l’ambiance-même du film. L’obscurité, le travail sur l’ombre et la lumière, nous font perdre nos repères et agissent sur notre imaginaire – un environnement sombre est associé à la peur, la mort. Lorsque l’intrigue se déroule dans un environnement clos (voir article sur le sadisme au cinéma), on ressent comme une impression d’enfermement, voire de claustrophobie.
On a souvent coutume de dire que la bande-son est le plus important au cinéma. Cela n’est pas totalement exagéré. En effet, le son influe sur l’ouïe, un second sens mobilisé en plus de la vue, ce qui plonge encore plus le spectateur dans le film. Dans le cinéma de la peur, la musique joue beaucoup sur l’intensité du son, tel grâce aux crescendo et decrescendo, et sa récurrence (utilisation d’une bande-son douce et répétitive, comme celle d’une boîte à musique). Celle-ci est alternée avec des périodes de silence, où notre attention est attirée par de légers bruits hors-champ, comme des crissements ou des bruits d’objets qui tombent.
Le jeu d’acteur est lui aussi lourd de sens dans les films d’horreur. Les regards hors-champ et les expressions du visage activent l’angoisse, avant même que nous n’ayons vu l’objet de la peur. La démarche des comédiens est, à sa manière, significative. Ainsi, une attitude de fuite, ou, au contraire, assurée, nous renseigne sur l’état d’esprit du personnage. Le choix des personnages influe aussi sur l’angoisse. On retrouve par exemple les médiums comme caractères récurrents, qui nous mettent en garde contre ce qu’il va arriver, de manière plus ou moins sibylline, peut-être une manière de faire monter l’angoisse ou de montrer la fatalité des événements. Certains films ont recours à des enfants, soit en position de victime – jouant alors sur le registre pathétique, soit en position d’agresseur – cette utilisation, tout comme celle de la maison hantée, touche au foyer, accentuant donc l’horreur.
Il existe aussi des moyens plus « techniques » pour influer sur la peur. Le jeu de caméra et le montage en sont de parfaits exemples. Le rythme des séquences, comme une répétition rapide de plans courts, ainsi que leurs transitions, tel le fondu au noir, permettent souvent de faire monter l’angoisse. On peut aussi prendre l’exemple des longs plans silencieux ou accompagnés d’une musique basse, qui provoquent un effet d’attente, permettant de faire monter l’angoisse. La manière de filmer les acteurs est aussi lourde de sens. Réduire les personnages par des plongées ou de larges plans permet ainsi de montrer leur vulnérabilité, tandis que les filmer de dos donne l’impression qu’ils sont suivis. Faire apparaître des personnages en arrière-plan, d’abord flous, ou dans le reflet d’un miroir, peut provoquer un effet de surprise et donc, si elle est préparée en amont, la peur. Cette “préparation”, se fait grâce à l’évolution de la musique, les temps d’attente où rien ne se passe, ou encore des leurres, c’est-à-dire des bruits ou des événements qui semblent au premier abord menaçants, mais s’avèrent ne pas l’être.
D’autres détails reviennent très souvent dans l’expression de la peur au cinéma. Ainsi, des animaux sont parfois utilisés, en tant qu’agresseur – pensez aux Oiseaux d'Hitchcock, symbole de la nature reprenant le dessus sur l’homme – ou bien pour montrer la présence d’une menace, par leur mort ou leur air effrayé. Les objets prennent souvent eux-aussi une portée symbolique, lorsqu’ils sont des motifs récurrents. On peut ainsi penser aux horloges ou à tout autre objet indicateur de temps, lorsque les événements terrifiants se produisent toujours au même moment, qui insiste sur leur fatalité, ou sur les portraits, dégradés lorsqu’il s’agit d’une menace, ou qui fascinent (portrait fantastique). D’autres symboles, qui peuvent aussi bien être des objets, que des sons ou des jeux de lumière, sont parfois utilisés pour signaler l’arrivée de la présence menaçante (lorsqu’elle est récurrente, comme le coup de téléphone et la fameuse question “Quel est ton film d’horreur préféré?” dans Scream de Wes Craven).
L’ouverture, qui permet de se plonger dans l’histoire, et la conclusion, dernière image que l’on gardera du film, sont très importantes. Ainsi, il est souvent d’usage qu’un film d’horreur ait un début heureux, car on se familiarise avec les personnages, dans leur vie plutôt semblable à la nôtre. Ensuite, que ce soit à l’entrée ou à la fin, de nombreux réalisateurs ajoutent souvent des messages qui permettent de rendre plus réel la fiction. Il est facile de penser aux nombreux films “inspirés d’une histoire vraie”, ou, comme dans Paranormal Activity, aux toutes dernières phrases indiquant que les personnages possédés ou fous se sont évaporés dans la nature et n’ont jamais été retrouvés.
Enfin, comme en littérature, certains cinéastes préfèrent jouer sur l’implicite. Par exemple, on entend parfois un cri en hors-champ, puis on voit une flaque de sang ou un objet tombé, sans apercevoir le corps. Les menaces sont parfois simplement représentées par des ombres démesurément grandes sur les murs.
Cependant, malgré ces différences, les films d’horreur s’articulent souvent autour des mêmes grands thèmes, comme l’inhumain (monstres) ou l’insupportable (sadisme, « gore »). Souvent, sont portées à l’écran une régression (presqu’au rang d’animaux) ou une réification (ils deviennent des jouets ou des pions pour l’agresseur) des êtres humains.
Le sadisme au cinéma
Le cinéma d’horreur met parfois en scène le sadisme, afin de provoquer la peur chez les spectateurs. Un exemple de cette sorte de film peut être Saw de James Wan, sorti en 2004. L’œuvre nous montre des personnages obligés de s’infliger des tortures physiques ou d’assassiner une tierce personne afin de survivre, sous l’œil voyeur de leur bourreau. En nous appuyant sur ce film, nous mettrons en lumière ce que nous révèle le sadisme au cinéma.
Tout d’abord, la lutte et la souffrance auxquelles les personnages sont contraints peuvent renvoyer à une rédemption de leurs péchés. En effet, toutes les personnes victimes du « Jigsaw Killer » (le tueur au puzzle, nom donné au bourreau du film) ont commis une « faute » dans leur vie passée (tentative de suicide, dépendance à la drogue, imposture,…). Les pièges et les tortures sont donc des peines, des châtiments, que les protagonistes doivent s’auto-affliger, s’ils veulent s’en sortir. On peut, sans difficulté, faire le lien avec les flagellations que l’on retrouve parfois dans la tradition chrétienne, afin d’absoudre ses péchés.
La gratuité de la souffrance portée à l’écran, ainsi que l’aliénation des hommes (ils régressent au rang d’animal, ne pensant qu’à survivre, par tous les moyens) qui la subissent, mettent le spectateur mal à l’aise. En effet, les images qui nous sont montrées se trouvent à la limite du « supportable », de la raison et de nos principes éthiques et moraux.
Le cadre de l’action accentue encore l’horreur ; le huis-clos ne laisse aucune échappatoire aux personnages, autre que la souffrance. De plus, ces derniers sont sans cesse observés par leur bourreau, mais aussi indirectement par les spectateurs. Par ce biais, le film tend à nous rapprocher du tueur, voyeur, qui associe les tortures à une source de plaisir (définition du sadisme). La dénonciation de l’hypervisualité de notre société est ici clairement perceptible, l’œuvre critique la jouissance et l’engouement que procure la violence, vue comme un spectacle. Et cela avec une certaine ironie ; en effet, si nous regardons ce film, n’est-ce pas par plaisir ?